Petites histoires des grands chefs – Albert Nahmias 

Petites histoires des grands chefs

Albert Nahmias

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Inutile de le cacher, Albert est un ami. Nous nous connaissons depuis très longtemps, raison pour laquelle la plupart des chefs ou personnages dont il parle dans son livre, je les ai connus moi aussi un jour ou l’autre, de près ou de loin, bien que n’ayant participé à aucune des agapes dont il fait état. Il faut dire que pendant ces quarante années qui ont vu se dérouler toutes ces péripéties, j’ai habité presque vingt ans loin de Paris. Mais je vous rassure, j’en ai vécu quelques autres avec Albert, notamment à Plaisance-du-Gers, avec l’ami Maurice Coscuella et Michel Le Royer, le beau gosse qui jouait « Le chevalier de Maison Rouge » ! Bon, je sais, je vous parle d’un temps que les moins de deux fois vingt ans ne peuvent pas connaître !

Mais avant de vous faire découvrir son livre, il faut d’abord que je vous dise quelques mots sur Albert qui est l’homme le plus gentil que je connaisse, toujours affable, toujours souriant, ne voulant jamais froisser personne, ne se départissant en aucune circonstance d’une sorte de sagesse orientale faite d’un zeste de nonchalance et d’une bonne dose de philosophie. Un flegme qui n’est nullement indifférence mais au contraire générosité. Le tout avec une classe naturelle et beaucoup d’élégance. Et surtout, indépendamment de ses formidables qualités humaines, c’est un personnage incontournable dans le monde de la gastronomie. Qui fut non seulement restaurateur mais aussi attaché de presse, chroniqueur, consultant, coach, homme d’affaires. Un homme-orchestre.

Tout a commencé à la fin des années 70 lorsque Albert, alors fraîchement marié avec la jeune Dominique Versini — qui fut l’une des meilleures cuisinières de Paris sous le nom d’Olympe et surtout, la première à démythifier un répertoire classique avec impertinence à l’ère de la Nouvelle Cuisine — ouvre avec elle un restaurant rue du Montparnasse. Avec cet incroyable coup de pouce, le propriétaire, coiffeur à la retraite, leur disant : « Vous me paierez quand vous pourrez ! » Ah ! l’heureuse époque ! Tout s’est ensuite enchaîné très vite, le restaurant d’Olympe — niché plus tard rue Nicolas Charlet « dans le creux ombreux de Montparnasse » — étant rapidement très couru et fréquenté par un aréopage d’inconditionnels, amoureux de la cuisine certes, mais aussi le Tout-Paris et de nombreuses célébrités.

Albert a donc été le témoin privilégié du microcosme gastronomique (chefs, journalistes, clients devenus des amis, etc.) et, dans son livre, il nous raconte une palanquée d’anecdotes truculentes avec Ève Ruggieri, Orson Welles, Jean Poiret, Demis Roussos, Maurice Rheims, Bernard Tapie, Jean-Marie Rivière, Pierre Bénichou, Mort Shuman (pour ne citer que quelques people)… et bien sûr tous les grands noms de la cuisine française que sont Jean et Michel Troisgros, Claude Terrail, Alain Senderens, Michel Guérard, Paul Bocuse, Jacques Maximin, Alain Dutournier, Jean-Jacques Jouteux, Michel Oliver, Bernard Loiseau, Jean-Claude Vrinat, Guy Savoy, Georges Blanc, Jean Delaveyne, Lucien Vanel, Jacques Lameloise, Paul Minchelli, Marc Meneau, ainsi que des hommes « périphériques » tels Alain-Dominique Perrin, Gaston Lenôtre, Lionel Poilâne, et les journalistes Henri Gault, Philippe Couderc, Jean-Pierre Coffe, Périco Légasse et quelques autres.

Sans dévoiler toutes les histoires cocasses dont fourmille ce livre, j’ai quand même envie de vous en raconter deux ou trois. La moins glamour, c’est sans doute lorsqu’il a déjeuné à la Tour d’Argent et qu’il n’a pu toucher à l’emblématique « canard au sang » du lieu, orné… d’une magnifique blatte ! Bon, l’histoire a bien fini quand même, arrosée à l’armagnac dans les caves de la Tour d’Argent. Eh oui, ce sont des choses qui arrivent. Je le sais, j’ai vécu la même aventure à la fin des années 70 chez Lasserre, avec une araignée engluée dans la gelée de ma terrine !

Rigolote aussi l’histoire des deux tables de clients qui s’invectivent chez Olympe au point que ça tourne à l’échauffourée, une convive indélicate ayant fait razzia sur l’argenterie. Je vous raconte la fin ? Non, il est plus drôle que vous la lisiez vous-même.

Quant à l’histoire du gangster canadien… elle vaut son pesant d’or mais je ne vous en dis pas plus non plus pour ne pas déflorer le suspense !

Car il faut ABSOLUMENT que vous lisiez ce livre. Parce que, mine de rien, par-delà les petites histoires qui narrent les nuits pas sages, les loufoqueries, les déconnades et les pactes d’amitié, c’est un regard aiguisé sur presque un demi-siècle d’histoire de la gastronomie, la Grande cette fois ! 

Ainsi, vous y apprendrez (peut-être) que Jacques Puisais a été l’initiateur de « « l’accord des mets et des vins » et que les restaurateurs ont été nombreux à suivre : Pierre Troisgros, Alain Senderens… Un discours qui, en codifiant de manière scientifique l’approche sensorielle et gustative du vin, a radicalement transformé le rapport du verre à l’assiette. »

Un livre qui évoque aussi les scènes de violences en cuisine — déjà ! — mais qui dit en filigrane le formidable amour de ce métier.

Oui, je vous assure, ce bouquin vaut la peine d’être lu !
Je dirais même plus : il DOIT être lu par tous ceux qui s’intéressent à la cuisine c
ar ce n’est pas seulement un livre qui raconte des virées et des frasques entre potes mais c’est un témoignage essentiel de notre mémoire collective à propos d’une époque qui a été la passation entre une cuisine léchée héritière de Carême et une cuisine libérée de ses carcans qui a abouti — quoi qu’on en dise et quel que soit le chant enjôleur des sirènes danoises et des crèmes 
catalanes aux accents moléculaires — à une spécificité française : la haute cuisine d’exception de nos chefs les plus talentueux.

En plus il est joliment écrit et, croix de bois, croix de fer, il ne manquera pas de vous faire rire et sourire.
Merci Albert !
Je t’aime !

Blandine Vié

Petites histoires de grands chefs
Albert Nahmias
Préface d’Alain Ducasse
Éditions Hugo & Doc

321 pages
Prix : 17,95 €

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